Women Climate Action

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Individualisme et révolution écologique : vers une nouvelle politique du bien commun ?

Person on a Bridge

Pourquoi la révolution écologique n’a-t-elle pas déjà eu lieu ? Après tout, l’environnement est un bien commun que nous chérissons. La nature nous procure du bonheur, du bien-être, elle est précieuse à maints égards, et nous ressentons à divers degrés la force qu’elle exerce dans l’équilibre de nos existences.

Face aux Cassandre et à l’accumulation de signes augurant un changement de notre climat, il aurait été logique de voir s’élever un mouvement universel pour défendre cette chose à laquelle nous attachons tant d’importance, à l’instar de la paix ou de la sécurité. L’absence d’un engagement climatique populaire et massif interroge : quelles sont les conditions pour une révolution climatique ?

Information et prise de conscience

La réalité du changement climatique et ses impacts sont aujourd’hui connus d’une large partie de la population mondiale, grâce au travail des ONG, aux grandes campagnes de communication ou encore aux temps forts médiatiques tels que les COP.

Plusieurs études démontrent que les citoyens européens sont inquiets[1]. Pourtant, nous sommes face à un paradoxe car cette inquiétude ne donne pas lieu à un changement collectif profond de notre modèle de société et de notre comportement. On observe même une polarisation croissante entre un segment de citoyens très concernés par la question environnementale, et à l’autre bout du spectre un segment plus réfractaire, pour qui cette question serait une affaire de privilégiés, et non une priorité. Cette division qui traverse la société n’est pas propre à la France ni à l’Europe, elle a fortement contribué à la constitution de l’électorat du candidat Trump.

Comment expliquer que l’accumulation de preuves scientifiques et que l’inquiétude des citoyens ne donnent pas lieu à une mobilisation inédite ? Une des (nombreuses) réponses à cette question est liée au poids de notre histoire personnelle. Nous traduisons le changement climatique par le prisme de notre milieu et de nos croyances, ce fameux « sens commun » chers aux philosophes et aux sociologues. D’autres types de barrières mentales peuvent également influer sur notre comportement. Ainsi le chercheur Per Espen Stoknes met en avant deux phénomènes, celui de « distance » temporelle, faisant envisager le réchauffement climatique comme un phénomène lointain, ou encore le mécanisme de « dissonnance cognitive » qui surgit lorsque notre mode de vie énergivore (conduire un 4×4, prendre l’avion) créé un malaise intérieur que nous évitons soigneusement de regarder en face.

Le coût de l’engagement

L’absence d’engagement pour le climat serait-elle donc une expression de déni, pour les individus comme pour les Etats, et non une question de moyens ?

Dès le rapport Meadows en 1972, la préservation de l’environnement comme condition – et non comme frein – au développement économique a été mise en lumière.  Le coût d’opportunité, c’est-à-dire les coûts engendrés par l’inaction face à la pollution, telles que les dépenses de santé publique, n’est plus à démontrer. Ainsi, la question ici est moins la nécessité d’investir dans la transition écologique que la répartition au niveau mondial de cet investissement, qui pèse très largement sur les pays du Sud. Une étude du cabinet BCG (« Preparing for a warmer world ») publiée en 2015 a ainsi évalué le montant total des investissements requis pour respecter l’Accord de Paris entre de 19.000 à 21.000 milliards de dollars d’ici à 2030… dont 60 à 80% dans les pays émergents.

Pour les individus, la question des moyens de la transition écologique pose également question. Dans les pays riches, l’enjeu est l’acceptation d’un mode de vie plus frugal, sobre en énergie, avec une meilleure utilisation des ressources existantes. Dans les pays dits « du Sud », les trajectoires varient considérablement d’une région à l’autre, et en fonction des catégories sociales. Ainsi, citons deux tendances inverses : d’une part l’accessibilité croissante des classes moyennes aux biens de consommation, tels que les véhicules particuliers, notamment en Chine et en Inde. D’autre part, l’optimisation des ressources en continu, subie ou voulue, dans les zones les plus pauvres, popularisée par le concept de jugaad (ou « innovation frugale »).

La contrainte de la norme

Si les risques ne suffisent pas à mobiliser les acteurs en faveur du climat, est-on réduit à exercer la contrainte par le droit ? Et sur quel sujet ce droit doit-il s’exercer : les individus, les entreprises, voire les Etats eux-mêmes ?

De fait, le cadre juridique existe. Dans son principe 1, la fameuse déclaration de Stockholm de 1972 promeut au rang de droit de l’homme le droit à un environnement de qualité. A l’instar de la Charte de l’environnement en France, elle consacre pour les individus un ensemble de droits, mais aussi des devoirs tels que « le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures ». L’individu ne peut se soustraire à cette nécessité collective, et le champ du droit applicable au citoyen-consommateur pourrait d’ailleurs s’étendre plus largement, au-delà des mécanismes de sanction existants.

Dans le secteur privé, l’engagement des entreprises en faveur de la transition écologique dépend largement de leur bonne volonté, elle-même souvent motivée par une ambition marketing. Bienvenue à l’ère du greenwashing[2]. Pourtant, l’impact potentiel des acteurs privés est colossal, à commencer par la finance verte, c’est à-dire le fléchage de financement vers des activités économiques et financières favorables au développement durable.

Néanmoins, le bon vouloir des entreprises ne suffit pas : le droit par la puissance publique doit être renforcé. La détermination de règles telles que l’interdiction des sacs plastiques ou de la vaisselle à usage unique dans le secteur de la grande distribution constituent des jalons importants, mais timides. Elle doit s’étendre aux secteurs économiques les plus polluants, malgré le poids écrasant des lobbies. Lors de la rédaction de son essai The heat is on (Chaud devant) paru en 1998, le journaliste Ross Gelbspan s’est entretenu avec six présidents de compagnies pétrolières américaines. Cinq d’entre eux ont reconnu le changement climatique, et tous ont avoué que « le marché compétitif de l’énergie les obligeait à réprimer la vérité sur le changement climatique et à s’assurer que ces réglementations ne se mettraient jamais en place »[3].

Par la contrainte, la force publique doit donc placer les acteurs privés en position de responsabilité ; mais l’Etat est-il lui-même responsable et redevable de son (in)action en matière de politique énergie-climat ? C’est en tout cas la conviction d’individus et de représentants d’organisations de la société civile, toujours plus nombreux, ayant lancé au cours des dernières années des actions en justice contre les états pour inaction face au changement climatique et non-respect des obligations environnementales, en France comme à l’étranger.

Toutefois, si cette tendance traduit à juste raison l’indignation face à l’inertie des autorités, ne cédons pas à la tentation de nous décharger de notre responsabilité en la transférant aux seuls pouvoirs publics. L’ampleur de la lutte contre les mutations climatiques est inédite sur le plan historique, ce changement d’échelle oblige à une action collective.

A la recherche du bien-être individuel

Enfin, la microéconomie nous propose une autre condition essentielle à l’engagement individuel : l’intérêt que nous avons à modifier notre comportement en faveur du climat. Ainsi, notre intérêt à atteindre un bien-être (respirer un air de qualité, admirer la beauté de la nature) peut nous conduire à adopter un comportement durable. Pour Matthieu Orphelin, ex-député LREM, la mobilisation est possible « en montrant que les solutions écologiques apportent davantage de confort et de bonheur. [….] Vous roulez à vélo, vous ne pensez pas au gain financier mais au plaisir que cela procure[4] ».  Anne Girault, directrice de l’Agence parisienne du climat, souligne l’enjeu de mieux communiquer auprès des citoyens. « Il est nécessaire d’adopter une approche plus stratégique en « marketant » davantage le discours lié au climat, c’est-à-dire en segmentant les cibles et en adaptant le message, indique-t-elle. L’important est de déculpabiliser, d’informer et communiquer avec bienveillance. Il nous faut montrer que les choses peuvent être simples avec des gestes que nous faisons chaque jour ».

La révolution écologique naitrait ainsi du désir, désir de vivre dans un cadre sécurisé et agréable, désir d’accéder au bien-être. Néanmoins, cette perspective ne remet pas en cause en profondeur notre modèle de société et continue de nous enfermer dans une logique individualiste et libérale qui limite notre horizon à une double injonction : accroître la croissance économique d’une part et préserver le droit à la liberté individuelle d’autre part. Or, « la liberté de choix n’est pas un fondement adéquat pour une société juste[5] » nous rappelle le philosophe américain Michael J. Sandel.

Finalement, l’impératif écologique ne constituerait-il pas une opportunité, celle de sortir de ce cadre contraint pour nous diriger vers une vie civique plus dense et un engagement collectif au service d’une cause commune ? Un dernier levier apparaît alors décisif : l’éducation, à chaque étape de la vie, et à travers elle la possibilité de transcender les croyances ou les réticences individuelles et collectives et de réunir les conditions d’une naissance de la conscience de la planète comme bien commun. Ce champ reste encore largement à explorer.

[1] Lire notamment l’étude « Représentation sociales de l’effet de serre et du réchauffement climatique », Rapport ADEME, octobre 2017.

[2] Stratégie marketing visant à donner une image « écologique » à des produits de consommation.

[3] Ibid., p. 298.

[4] Clara Georges, « Opération transition – dossier spécial », Le Monde, 22 octobre 2018.

[5] Justice, Michael J. Sandel, Flammarion, 2017, p. 324.

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This entry was posted on 04/03/2019 by in Opinions.
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