En Amérique centrale, dans les profondeurs d’une grotte reposent plusieurs cadavres. Pour les rejoindre, il faut s’enfoncer pendant une vingtaine de minutes et frayer son chemin dans l’eau souterraine, parfois jusqu’au cou. Les squelettes sont en excellent état, et la disposition soigneuse des ossements montre que la mort n’a pas été accidentelle. En réalité, il s’agit des restes de plusieurs cérémonies de sacrifice humain.
Nous ne sommes dans un mauvais roman mystique, mais dans un lieu bien réel, celui d’Actun Tunichil Muknal, site sacré maya situé au Belize, à 30 kilomètres de la frontière du Guatemala. Quelle folie, ou plutôt quelle logique a pu pousser un groupe d’indiens à se rendre dans ce lieu caché, si difficile d’accès, de surcroît dans une obscurité quasi-totale, pour y procéder à des sacrifices ? La réponse est l’eau. Ou plutôt son absence. Selon les experts, le rite sacrificiel visait à invoquer les dieux de la pluie, dans une période manifestement marquée par une sécheresse de longue durée.
Les causes de l’effondrement de la civilisation Maya continuent de susciter de violentes controverses et ces débats historiques pourraient se limiter une querelle académique. Pas si vite. La disparition comme l’émergence de civilisations résultent naturellement d’une combinaison complexe de facteurs, de telles transformations historiques ne pouvant être imputées à une cause unique. Les changements climatiques et environnementaux constituent un de ces facteurs. Face à ces bouleversements, le comportement humain joue à son tour un rôle décisif pour la survie d’une société. Saura-t-il s’adapter ? Restera-t-il passif ? Ou bien va- t-il, par la somme de ses actions, contribuer à empirer la situation et causer la perte d’une civilisation ?
La culture Maya était une plus avancées du Nouveau monde, et la seule à disposer de textes écrits ayant été déchiffrés. A l’exception de caractéristiques telles que le manque de prévisibilité des pluies, l’environnement naturel des Mayas n’était pas particulièrement fragile. A l’époque de l’effrondrement classique, environ 900 après JC, les Mayas connurent plusieurs périodes de sécheresse, conjuguées à une densification spectaculaire de la population dans certaines zones du territoire. A ce changement climatique s’ajouta une autre cause probable du déclin : la sécheresse humaine, causée par la déforestation et l’érosion de collines, entraînant ainsi un appauvrissement des sols et une réduction des terres utilisables, au moment où les bouches à nourrir devenaient toujours plus nombreuses.
L’élite de l’époque a-t-elle mis à profit le savoir dont elle disposait, et dont elle avait le monopole, pour mettre en œuvre des solutions face à cette évolution dramatique ? Bien au contraire : on observe à la veille de l’effondrement une augmentation exponentielle du nombre de monuments en l’honneur des rois et des nobles. Tout laisse à croire que l’attention des dirigeants était focalisée sur leur intérêt à court-terme et qu’ils n’ont pas pu ou su prendre la mesure du phénomène. Jared Diamond nous met en garde : « Ne commettons pas l’erreur de penser que l’échec est un risque réservé aux petites sociétés périphériques vivant dans des contrées fragiles : les Mayas nous prouvent que les sociétés les plus avancées et les plus créatives peuvent aussi s’effondrer ».
Revenons à notre grotte. Rien ne prouve dans le cas particulier d’Actun Tunichil Muknal que l’action de l’homme fut directement à l’origine de la disparition progressive de l’eau dans cette zone du territoire maya. Mais l’effondrement de la civilisation maya interroge le présent. Le climatologue et ancien vice-président du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) Jean Jouzel a alerté sur la nécessité de stabiliser le niveau d’émissions de gaz à effet de serre au plus tard en 2020. Allons-nous invoquer les dieux ou allons-nous enfin sortir de notre grotte ?